« Ode à la Nature et à la Liberté », par Junya Ishigami

Junya Ishigami est un fervent représentant de cette architecture japonaise qui entretient un lien très fort avec l’environnement. Puisant son inspiration à partir de ce qui l’entoure, il évolue sans aucune idée préconçue. C’est pourtant emprunt de modernité qu’il nous livre sa vision de l’espace, au service de ceux qui l’utilise, floutant les frontières avec la Nature. Rencontre au sein de la Fondation Cartier, qui lui consacre sa première grande exposition architecturale.

Qui est Junya Ishigami ?

ConversationPas toujours évident de se tenir informer de l’émergence de nouveaux talents en dehors de nos frontières. Pourtant, Junya Ishigami est un artiste complet (étudiant à l’Université des Beaux-Arts et de Musique de Tokyo) qui excelle dans le domaine de l’architecture. Le designer a fait ses armes chez Kazuyo Seijima&Associates, ex-SANAA, agence à l’origine de nombreux projets mondialement connus, dont le Sumida Hokusai Museum de Tokyo. L’artiste a autant de talent que de discrétion. C’est pourquoi vous ne trouverez pas de site web exposant son travail…  Cependant, depuis 2004, l’architecte accumule plusieurs projets de grande envergure, en Europe et en Asie, avec un style repoussant les limites de l’épure et resserrant le lien avec la Nature.

La création au service d’autrui

L’exposition fait la part belle au processus de création de l’architecte. On y découvre une simplicité, une sensibilité, une fragilité presque, illustrée par des croquis, des films ainsi que des maquettes spécialement conçues pour l’exposition, qui dialoguent avec le bâtiment de Jean Nouvel. Je prends soudain conscience de l’échelle de ses projets, pour certains gigantesques, avoisinant les 39.000m².

On y découvre aussi beaucoup de dévotion envers son prochain. Depuis la conception du « Kids Park » qui réinterprète le règne animal à l’échelle de l’enfant, à celle de la résidence pour aînés « Home for the Elderly » qui regroupe des maisons traditionnelles japonaises sur le point d’être détruites venant de tout le pays, l’engagement est essentiel. Ce qui fait d’Ishigami un architecte altruiste et concerné, qui met sa réflexion créative au service de la société. Une réflexion qui s’affranchie des contraintes, et repousse les limites de l’architecture d’aujourd’hui. Une démarche et un engagement qui me font  indéniablement pensé à cet autre grand architecte japonais : Tadao Ando.

Le processus créatif de Junya Ishigami

L’essence du minimalisme

On pourrait qualifier son travail de minimaliste : en constante recherche de la ligne et de la forme parfaite, avec des partis-pris toujours justifiés. Ses projets semblent parfaitement immaculés, tantôt d’un blanc virginal, tantôt envahis par la végétation. Il créé de la fluidité et des circulations limpides, même là où relever un tel défi s’avère difficile. On ressent dans son oeuvre un grand travail sur les ouvertures, les discontinuités entre l’intérieur et l’extérieur, et la sensation de liberté qui s’en dégage. De sorte que le projet s’efface toujours au profit de l’environnement dans lequel il prend place.

L’exemple que l’on rapporte le plus souvent, est celui de l’Institut de Technologie de Kanagawa, « KAIT Workshop ». Un espace dédié aux étudiants, qui pourtant ne laisse aucun indice sur l’activité du lieu.  Les ouvertures et les respirations y sont privilégiées. Une structure traversante, entièrement soutenue par une « forêt » de colonnes. « Forêt » ou « Constellation », c’est bien ces idées qui ont conduit l’architecte à chercher pendant deux ans la disposition de chaque colonne pour qu’elles déterminent l’espace.

Un technicien hors pair

De mon point de vue, j’associe l’architecture de Junya Ishigami à celle d’une conte. Au-delà d’être un grand créatif, cet homme est certainement un grand rêveur. Anticonventionnel, il s’inspire et joue avec les éléments naturels, et défie même les lois de la construction avec le projet « House & Restaurant ». Derrière une simplicité illusoire, se cache pour chaque projet une technique de construction des plus novatrice. Ici, le sol a d’abord été creusé, puis le béton coulé dans la terre, avant d’être séché puis excavé. Le bâtiment conçu en « négatif » revêt l’aspect d’une grotte, et abrite pourtant un restaurant et un espace de vie. La mise en oeuvre de ce projet m’a captivé…

Je pourrais encore vous parler de ses nombreux projets, tellement il y a matière à débattre. Remarquons juste le monument commémoratif pour la Paix de Copenhague, « House of Peace ». Un espace pur qui semble flotté sur l’eau, dédié à la méditation, non sans rappeler le « Teshima Art Museum » de l’artiste Rei Naito et de l’architecte Ryue Nishizawa.

Avec Ishigami, chaque projet revendique sa singularité. Ce touche-à-tout ne cesse de réinventer son métier, pour réinventer notre environnement et lui donner un sens profond. Vous l’aurez compris, je suis séduite par son travail. Junya Ishigami ouvre la voie à une architecture « du futur », régressive par ces formes simples et pourtant ouverte sur l’Humanité. Je n’ai qu’une hâte : explorer quelques uns de ses projets en grandeur Nature.

« Freeing Architecture » Exposition Junya Ishigami, Fondation Cartier, Paris

Du 30 mars au 10 juin 2018

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