Bengal Stream, ou l’architecture responsable et raisonnée de demain.

Petit pays d’Asie qui nous semble bien lointain et dont on n’entend trop peu parler, nous devrions tous avoir les yeux tournés vers le Bangladesh. Par sa situation démographique et environnementale, le pays est déjà en train de subir les répercussions d’un changement climatique brutal et impitoyable. Un changement dont on ne réalise pas l’immédiateté, mais qui nous frappera un jour également. Forcément. Pour tenter de répondre aux besoins des populations, la nouvelle génération d’architectes locaux met tout en oeuvre pour trouver des solutions astucieuses, durables et à faible coût. En découle une architecture réfléchie, presque évidente, qui se donne à voir pour la première fois en France au Centre d’Architecture Arc-en-Rêve de Bordeaux.

Un contexte difficile

Pour comprendre les enjeux auxquels font face les bangladais, resituons le contexte. À proportion égale, le Bangladesh équivaut en superficie à environ un quart de la France. Cependant, il accueille 165 millions de personnes (contre 67 millions chez nous). Un chiffre édifiant qui ne va pas aller à la baisse… Avec 1240 habitants au km², le Bangladesh est le pays le plus densément peuplé au monde. Qui plus est, la totalité du pays se situe sur le delta du Gange, le plus grand delta du monde. Estimé à plusieurs milliers, il est impossible de recenser le nombre exact de cours d’eau, rivières, fleuves…  L’eau induit un paysage mouvant. En saison sèche, le soleil est destructeur. En saison humide, des pluies diluviennes s’abattent sur le territoire de juin à octobre, modifiant complètement le territoire. De plus, de terribles cyclones frappent les villes et les populations rurales. Les habitants, parfois contraints de vivre sur les toits, se déplacent alors plus en bateau qu’à pied.

La mosquée Gulshan Society de Dhaka
La mosquée Gulshan Society de Dhaka est une immense structure de plateaux libres sur 5 étages.

On constate seulement 100 mètres de dénivelé entre le point le plus bas et le point le plus haut du pays. On estime que 10% du pays se situe au-dessous du niveau des océans, et que lorsque ce niveau aura augmenté d’un mètre (autant dire, demain), 20% du territoire sera submergé.  Sans aucun refuge face à la montée des eaux, une zone grande comme la Nouvelle-Aquitaine devra contenir la population bangladaise, augmentée de plusieurs millions de réfugiés climatiques . Devant le défi démographique, devant le défi environnemental, il est urgent de réagir et d’anticiper ces problèmes mondiaux. « Le Bangladesh est le laboratoire global. Tous les effets négatifs du changement climatique y sont visibles », nous dit l’ex-conseiller du Président, Munir Muniruzzaman. Le pays a donc beaucoup à nous apprendre…

La tradition en héritage

Pouvez-vous me citer un monument célèbre bangladais ? 

L'inspiration de Le Corbusier au Bengladesh
L’influence de Le Corbusier se fait sentir jusqu’aux confins de l’Asie

Pas de question piège. Seulement le constat que ce pays relativement jeune (indépendant depuis 1971) et émergeant, a encore toute sa place à prendre sur le devant de la scène architecturale internationale. L’histoire aura marquée de son influence le développement du pays. D’abord avec l’Empire Moghol (XVIème – XVIIIème siècles), et l’héritage traditionnel perçu dans les temples et mosquées, tels qu’on se les représentent dans l’imaginaire collectif. Puis, avec l’emprise coloniale britannique (jusqu’en 1947) qui transpose les codes architecturaux de l’Antiquité. Enfin, c’est le modernisme et ses clins d’oeil « corbuséens » qui triomphent, avec l’appui et le travail de toute une vie de Muzharul Islam (1923-2012), architecte et médiateur libre bangladais.

Fort d’un enseignement acquis aux Etats-Unis, c’est lui qui invita de grands architectes de renommée internationale à s’intéresser et à construire son pays. Le plus célèbre d’entre eux est Louis Kahn, qui édifia l’Assemblée Nationale à Dhaka. Ce bâtiment est considéré encore aujourd’hui comme une référence majeure en architecture.

Richesse et diversité d’une nouvelle architecture 

Ecole flottante Arcadia, à Alipur
Un projet d’école, qui à la saison des pluies flotte sur un système de bidons de plastique.

Aujourd’hui, on voit émerger un nouveau courant contemporain, qui à la fois condense tout cet héritage et s’inscrit dans ce contexte particulier de l’urgence climatique. Face à la pression forte exercée par les promoteurs immobiliers qui parquent les citadins dans des logements sans conscience durable ou raisonnée, des architectes comme Marina Tabassum, Eshan Kahn, Nahas Khalil ou encore Shamsul Wares, alliés aux ONG locales et internationales, œuvrent pour leur prochain. 

L’exposition très dense et riche, à l’image du pays, présente 60 projets architecturaux, de toute échelle et de tout horizon. Une scénographie aérienne met en lumière la variété des projets, et rend hommage à l’industrie textile du pays. Voyageant à travers les régions, on rencontre une réelle variété et vivacité dans les édifices, savamment illustrés par un travail de recherches en maquettes, peintures et dessins. C’est tout un pays qui nous offre à admirer sa culture, mais aussi ses problèmes et sa formidable résilience. 

Une invitation à regarder sa propre culture autrement, en en découvrant une autre.

Construire local et malin

Maquette du Centre d'Interprétation de la Nature à Teknaf
Niché en pleine jungle, le Centre d’Interprétation de la Nature.

Je partage ici une sélection des quelques projets qui m’ont particulièrement touché, et qui, j’en suis sûre, en inspireront beaucoup d’entre nous. Pour les plus curieux, sachez que comme à son habitude, Arc-en-Rêve organise des visites guidées de l’exposition, afin d’explorer plus en profondeur la réalité du contexte et les réponses architecturales avancées.

Le projet qui m’a le plus étonné par sa simplicité, son évidence et son rôle protecteur, c’est celui de l’école du village qui fait office d’abri anticyclone. La structure en béton peut accueillir jusqu’à 1800 personnes en cas de danger. Des citernes de récupération d’eau de pluie et des panneaux solaires, installés sur le toit, assurent l’autonomie du bâtiment. Volontairement inspiré d’un cyclone, l’aspect extérieur se veut octogonal pour assurer une bonne prise au sol et parer aux vents violents. Une rampe d’accès s’enroule autour d’un bâtiment intérieur, permettant aux personnes âgées et au bétail de se réfugier sur le toit de l’édifice. Cette rampe sert aussi de brise soleil et de protection contre les débris volants. Dans chacun des projets rencontrés ici, la ventilation naturelle est systématiquement privilégiée pour parer aux fortes chaleurs.

Projet abri anticyclone et école primaire

Le gouvernement a adopté le prototype pour déployer plusieurs abris sur tout le territoire.

Autres contraintes, autre projet. Ici, il était question de construire en zone inondable un bâtiment d’éducation au même titre qu’un espace pour se réfugier pendant la saison des pluies. Le Centre Friendship est construit légèrement en dessous du niveau du sol alentour afin de n’avoir aucune prise au vent, et de garantir la sécurité des habitants. Une digue encercle le bâtiment pour se protéger en cas de montée des eaux. Des bassins d’agrément permettent de rafraîchir l’espace, et son implantation assure de nombreuses zones d’ombres. Entièrement construit en brique, le matériau de construction le plus économique et local, le centre est aussi un point de rencontre pour les villages voisins.

Centre Friendship, à Gaibandha

Pour finir, la Résidence Meghna m’a vaguement rappelé la maison Gardenhouse à Tokyo conçue par Ryue Nishizawa. Certes plus grande et plus cloisonnée, cette villa intègre la végétation qui l’entoure et lui laisse toute la place pour s’épanouir. Les habitants peuvent y apprécier tout le confort d’une piscine intérieure, au cœur d’une jungle tropicale. Un véritable havre de paix citadin.

Résidence Meghna Dhanmondi et sa végétation
Résidence Meghna Dhanmondi et sa végétation


En France, plusieurs associations auprès desquelles il est possible de se former, promeuvent une construction raisonnée avec des techniques biosourcées, tel que l’Éco-Centre du Périgord-Limousin.

En tant qu’être humain, le sujet de l’environnement nous concerne tous. En tant qu’individu, se nourrir de cette architecture épurée et pratique, c’est déjà s’engager sur la voie du changement.

 

« Bengal Stream, Architecture vive du Bangladesh » Exposition, Centre d’Architecture Arc-en-Rêve, Bordeaux

Du 22 novembre 2018 au 3 mars 2019

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