L’Architecture à contre-courant de Wang Shu et Lu Wenyu

Le Centre d’Architecture Arc en Rêve de Bordeaux, consacre une exposition au travail investi de ce couple d’architectes chinois, que sont Wang Shu et Lu Wenyu. Ces deux noms ne vous disent peut-être pas grand chose… Très discrets, ce sont pourtant des pointures dans l’architecture traditionnelle et vernaculaire chinoise. Ils sont surtout reconnus et appréciés pour leur prise de position, qui va à l’encontre d’une architecture moderne et majoritaire.

Amateur Architecture Studio : renouveau architectural

Couple à la ville (ou plutôt, à la campagne) comme au travail, Wang Shu aime à dire qu’il a les idées, mais que celles-ci ne verraient jamais le jour sans la technicité et le talent de sa femme, Lu Wenyu. D’une complémentarité parfaite, à deux ils sont capables à la fois de repenser l’architecture contemporaine chinoise en lui insufflant toute sa tradition ancestrale, à la fois de concevoir des projets de très grande envergure en lien avec l’environnement. En 1997, ils créent leur agence Amateur Architecture Studio (en français, pour renouer avec la tradition des lettres).

Recherches d'assemblages par les élèves de Wang Shu
Recherches d’assemblages par les élèves de Wang Shu

L’amateur est celui qui aime et cultive un art, toujours dans la recherche et l’approfondissement de ses connaissances. C’est pourquoi Wang Shu se plonge littéralement dans ce qui le passionne pour l’intégrer d’une manière profonde. Il vit à la campagne, au plus proche de la Nature. Il s’est retiré cinq ans en ermite à la montagne pour s’imprégner de cet environnement, et réfléchir au rapport entre Nature et Architecture. Avant de mettre en oeuvre une technique, il travaille avec ses artisans pour comprendre les techniques traditionnelles de construction, qui ne se transmettent désormais que d’homme à homme. Aujourd’hui dans une démarche de transmission, il dirige le département d’architecture de l’École Supérieure des Beaux-Arts de Hangzhou, où il vit avec sa femme.

Des projets inscrits dans le temps et dans l’environnement

L’exposition s’oriente autour de cinq projets majeurs de Amateur Architecture Studio. Le plus impressionnant d’entre eux est le Musée d’Histoire de Ningbo. Un bâtiment de 30.000m², tel un rectangle à la toiture basse (en opposition aux gratte-ciels environnants), qui accueille une place publique et redonne aux habitants le goût de se réunir. Ce bâtiment époustouflant possède un parement de façade comme un « collage du passé ». Tuiles, pierres, briques… issues des trente villages expropriés du site, et empilées les unes sur les autres manuellement. Cette technique de construction s’appelle le wa pan. Il faudrait le voir pour le croire, tellement la quantité de matériaux est énorme, et le bâtiment gigantesque. Le rendu visuel est sublime, très graphique, et magnifie des matériaux qui auraient pu finir à la décharge, parmi lesquels les artisans ont trouvé des vestiges datant de la dynastie Tang (618-907 après JC).

Maquette du Musée d'Histoire de Ningbo

L’architecture a ici littéralement encapsulé l’histoire.

Matériaux récupérés pour une façade - Essais de teintes de céramiques
Matériaux récupérés pour une façade – Essais de teintes de céramiques
Coffrage et impression bambou sur béton
Coffrage et impression bambou sur béton

Une très belle démonstration de recyclage, qui abaissa le coût de construction à 300 euros/m². Il aura fallu environ un an, depuis l’idée jusqu’à l’inauguration, pour construire ce musée ! Un défi qui nous semble impossible pour nous, Européens. Mais n’oublions pas que nous ne sommes pas sur les mêmes critères et paramètres de construction qu’en Chine.

Maquette de la Maison d'hôtes Wa Shan

J’ai aussi beaucoup apprécié le projet pharaonique du Campus Universitaire de Xiangshan, niché à flan de montagne. Inspiré du tableau Le village de montagne, peint par Li Gongli, l’architecte a voulu inscrire ce regroupement de 22 bâtiments dans une relation au plus proche de la nature. De toute part, l’immensité du paysage vous surprend. Il y a une part « d’aléatoire » dans la conception de ces bâtiments, chacun unique, mais qui s’orchestrent autour de deux thèmes : « les cours communicantes » similaires à celles des palais impériaux, et « le bâtiment comme montagne » avec ces chemins, ces coursives complètement farfelus. Les étudiants se perdent souvent sur ces « chemins de randonnées » !

Maquette du Campus de Xiangshan - Les toits en forme de vaguesL’architecture amateur est toujours incomplète. Même les plus petits détails peuvent soudain déclencher une explosion d’idées.

De l’avenir pour l’architecture universelle

À l’origine d’une trentaine de projets variés, on peut dire que Wang Shu réinvente l’architecture moderne chinoise. Souvent incompris, délaissé au profit d’architectes plus contemporains ou de projets plus urbains, sa démarche est pourtant révélatrice d’une prise de conscience, au moment où les enjeux économiques, écologiques et démographiques de la Chine inquiètent le reste du monde. Avant d’asseoir sa notoriété, et même encore aujourd’hui, son principal défi est de convaincre les populations d’adhérer à son idée d’architecture transversale, avec des budgets au mètre carré les plus serrés qui soient.

Maquette de la Maison d'hôtes Wa Shan - Une structure porteuse avec plusieurs milliers de tasseaux en bois

Je découvrais ces architectes, et j’ai été complètement bluffée. Leur rapport à l’environnement est très fort. Le respect qu’ils ont pour la nature se ressent dans chacun de leurs projets. La simplicité des lignes, de même que la simplicité des inspirations à travers les éléments (la terre, l’eau, la montagne) démontrent encore une fois que « less is more », comme dirait Mies van der Rohe. Leur capacité à se remettre en question, à se réinventer semble si simple et inépuisable, que cela force mon admiration. Leur détournement, leur recyclage, leur réutilisation des matériaux prouvent que l’on peut donner une chance à chaque chose de renaître. La façon dont ils s’inspirent de l’artisanat et s’approprient ses techniques révèle une grande humilité.

L’architecture amateur est modérée. Elle n’exagère pas. Elle n’en fait pas trop.

Maquette de la Maison d'hôtes Wa Shan - Un toit qui évoque la montagne
Maquette de la Maison d’hôtes Wa Shan – Un toit qui évoque la montagne

Aux vues de mon parcours architectural personnel, il y a sans doute beaucoup de rencontres manquées que je regrette. Celle de ne jamais pouvoir avoir pour mentor Wang Shu et Lu Wenyu en fait partie.

« Whang Shu  Lu Wenyu, Amateur Architecture Studio » Exposition, Centre d’Architecture Arc En Rêve, Bordeaux

Du 31 mai au 28 octobre 2018

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