Tadao Ando, l’autre visage du Maître de la Lumière

C’est l’exposition du moment qui met tout le monde d’accord. Celle qui réjouit aussi bien les japonofiles que les aficionados d’architecture. Car le langage que parle Tadao Ando, architecte de renommée mondiale qu’on ne présente plus, est universel. Le Centre Pompidou lui consacre actuellement une rétrospective pour l’ensemble de son oeuvre. Mais derrière l’artiste, saviez-vous qu’il se cache aussi un homme très engagé pour son prochain ?

Une rencontre inattendue avec Tadao Ando

Au moment de la rédaction de cet article, je n’ai pas encore vu l’exposition en question (mais j’ai bon espoir d’y aller dans les prochaines semaines). Plutôt que de vous re-sortir un résumé de ce que l’on y découvre, j’y vois l’opportunité de vous parler de ma rencontre personnelle (au sens figuré, entendons-nous bien !) avec Tadao Ando. Un sujet qui me tient à cœur et que j’avais dans mes tiroirs depuis quelques temps. Car cet architecte est désormais une de mes premières références et source d’inspiration. C’est sa façon d’expérimenter l’espace et son rapport à l’environnement qui me fascinent. Alors je vais essayer de faire court, avec mes mots, mais pardonnez-moi, car je sens déjà que résumer ce grand homme à quelques lignes serait : 1. fastidieux, 2. inutile, 3. totalement irrespectueux.

Ma première approche avec les projets de Tadao Ando a d’abord été photographique, sans pour autant comprendre toute la mesure de son art. J’étais alors peu fan de « ses gros blocs de béton froids » (que je résumais ainsi)… C’était avant de faire l’expérience du Pavillon de la Méditation à Paris. Presque enfermé dans un vertigineux cylindre de béton, on se retrouve coupé du monde visuellement et phoniquement, avec cette impression qu’une coupole en béton « légère » lévite au-dessus de nos têtes. Ou bien va-t-elle s’écraser sur nous ? C’était avant de découvrir toute la carrière et le travail de cet architecte autodidacte lors de l’exposition « Tadao Ando Endeavors » du National Art Center de Roppongi à Tokyo. C’était avant de m’immerger dans son art au Chichu Art Museum et au Benesse Art Site, sur l’île de Naoshima. Je vous parlerai donc de ma « vraie » rencontre avec Ando en terre nippone.

Le Cycle des Églises

Church of Light by Tadao Ando

L’hiver dernier, j’ai déambulé deux longues heures à travers les différentes scénographies de l’exposition « Tadao Ando Endeavors », qui doit sensiblement ressembler à l’exposition parisienne, et cela n’a pas été assez… Néanmoins, en deux heures, j’ai rencontré l’humain, le citoyen et l’architecte. J’ai découvert de nombreux projets et vu l’évolution du geste, à travers la pensée de l’homme. Je suis tombée sous le charme de « Church on the Water », cette église tellement épurée au point de concentrer son espace sur sa relation au Divin. Un mur d’une longueur infinie et un long cheminement d’escaliers nous préparent à la vue spectaculaire d’une simple croix sur l’eau, perdue dans les montagnes d’Hokkaido.

J’ai longtemps admiré « Church in the Forest » qui s’intègre parfaitement à son environnement au point de disparaître. Construite dans une clairière, on aperçoit seulement le toit de la chapelle avant de descendre dans l’espace de méditation qui s’ouvre complètement sur une cascade. Le son et la lumière permettent de communier avec la Nature.

La croix de lumière de Church of Light

J’ai aussi expérimenté à l’échelle une « Church of Light », soit le projet le plus connu d’Ando pour son incroyable technicité et poésie. Dans la cour du musée de Roppongi, l’Église de la Lumière a été reconstituée pour appréhender le Divin. Une simple croix de lumière et il semble vous parler. Une croix découpée sur un mur de béton qui semble flotter, et qui selon l’heure de la journée se reflète sur le sol de la chapelle. Il y avait comme de l’intervention divine dans l’air…

Inside Church of Light
Le souci du détail, les murs ne se touchent pas

Révélation au Chichu Art Museum de Naoshima

Croquis d'intention pour le Chichu Art Museum par Tadao Ando
Croquis d’intention pour le Chichu Art Museum

J’ai poursuivis mon exploration avec un séjour sur les îles musées de Naoshima et Teshima. Il était inconcevable pour moi de me retrouver à l’autre bout de la planète sans avoir vécu cette expérience. J’ai fais plusieurs croquis car les photos sont interdites dans les musées, mais j’ai quand même réussi à « voler » quelques clichés. Ils ne rendent pas l’âme des lieux mais me permettent de me les remémorer. On dit que chacun ressort différent de sa visite à Naoshima. Ce qui est certain, c’est que l’expérience sensorielle que l’on vit là-bas dépasse toute espérance. On ne s’attend pas à vivre ce que l’on y vit. Et il est bien difficile de mettre des mots sur cela, au vu du ressenti très personnel de chacun. Dans mon carnet de croquis, j’ai inscrit « hors du temps »…

Perspective sur une cour intérieure du Chichu Art Museum

Le Chichu Art Museum conçu par Ando, accueille les œuvres de Claude Monet, James Turrell et Walter De Maria. Le bâtiment est démesuré par son envergure. Et bien qu’il soit enterré, je suis attirée par la lumière et nullement oppressée par l’espace. Vu du ciel, les géométries simples engagent un dialogue avec l’extérieur. Au risque de surprendre par l’emploi de cet antonyme, ce musée est d’une sophistication pure. J’ai parfois l’impression que les murs ont été conçus autour des œuvres, tellement l’harmonie des lieux est parfaite.

Les artistes révèlent tout leur talent dans cet écrin de béton, mais l’expérience et le cheminement commencent dès l’arrivée sur le parking. Je dirais même, dès l’arrivée au port par bateau, car le fait que l’on soit sur une île très peu habitée change complètement sa relation au Monde.

Naoshima et ses merveilles architecturales
Naoshima et ses merveilles architecturales
revêtement de sol de la salle des Nénuphars de Claude Monet
Coup de cœur pour le revêtement de sol de la salle des Nénuphars de Claude Monet

Tadao Ando a le don de nous faire vivre une expérience sensorielle, à la fois externe par rapport à l’espace, et interne par rapport au ressenti émotionnel. J’ai vécu cela comme une décharge électrique ! Un choc artistique ! Une grosse claque devant tant de beauté, non pas induite par les objets, mais bien par le vide ! Tout particulièrement avec l’oeuvre de Walter De Maria qui redéfinit les échelles (une sphère de granit polie de 2,20 mètres de diamètre au centre d’une immense pièce de réception).

Time, Timeless, No Time by Walter De Maria au Chichu Art Museum
Time, Timeless, No Time by Walter De Maria

Pour apprécier tout le talent de Tadao Ando et la poésie des lieux, il faudrait rester la journée entière dans le musée, pour voir les changements lumineux qui opèrent dans les espaces au fil des heures.

Œuvrer pour la planète

Aux premiers abords, je ne voyais pas l’intérêt d’utiliser du béton, ce matériau industriel, froid et non-recyclable, au sein des forêts. Je ne captais pas le rapport qu’entretenait le béton avec le végétal. Mais dans le travail d’Ando, ce n’est pas la matière qui créé l’espace, mais plutôt le vide. Ses structures sont constamment ouvertes vers l’extérieur, pour laisser rentrer la lumière et pour donner à voir sur le paysage. Le béton seulement vient cadrer la vue, et offrir un hommage des plus respectueux à Mère Nature par le contraste qui se crée. En travaillant avec un matériau si brut, si neutre par sa teinte, si vif, c’est comme s’il le mettait en retrait pour magnifier la richesse des formes géométriques simples et des couleurs du végétal. Les constructions de Tadao Ando sont à la fois des écrins et des refuges.

La Benesse House by Tadao Ando Perspective sur la Benesse House

Tadao Ando prend son rôle de constructeur pour les générations futures très à cœur.  Au lendemain du séisme de Kobe en 1995, il déploie une énergie immense à reconstruire son pays. Depuis le début de sa carrière, il ne conçoit pas son métier s’inscrivant hors d’un cercle vertueux. Ando crée et construit des bâtiments pour son prochain. Pour cela, il puise dans les ressources de l’environnement, tout en veillant cependant à ce que ses projets soient les plus respectueux possible. Par conséquent, il mène un autre combat : celui de re-végétaliser les villes, de rendre la vie citadine plus agréable et de rendre à la Nature ce que nous lui avons pris.  Il se place lui-même au premier rang des défenseurs de l’environnement, en pratiquant une architecture réfléchie et en inspirant ses concitoyens. C’est en soi pour cela que je me retrouve tant dans sa philosophie.

Pour lui, bâtiments et végétaux sont identiques : ils se fanent si on ne les entretient pas. Par le biais de diverses fondations, Ando plante et replante un peu partout dans le Japon. Rien qu’à Osaka, sa ville natale, 3.000 cerisiers ont été replantés le long des rivières Ogawa et Ajigawa, en faisant un spot éblouissant lors de la floraison. La baie de Tokyo a aussi retrouvé sa nature sauvage grâce à lui.

Le Chichu Art Museum de Naoshima

Tadao Ando est un grand technicien qui, derrière les apparences trompeuses de la sobriété, a un sens aigu du détail. Sa rencontre manquée avec Le Corbusier n’enlève rien au lien qui les unit, car on retrouve assurément toute l’influence du Maître de l’Architecture Moderne dans l’approche du Maître de la Lumière. Aujourd’hui, je ne regarde plus les projets d’Ando de la même façon. Je n’appréhende plus l’espace de la même manière. J’ai encore beaucoup à apprendre, mais Tadao Ando m’a fait porter un autre regard sur l’architecture contemporaine. Et je crois que son travail va bien au-delà de celui du simple constructeur. C’est avant tout un travail sur le corps, et par extension, sur l’esprit, et leur relation à l’espace et à l’environnement, que l’on résume au Japon sous le concept du Ma.

MAJ du 18/11/2018

J’ai passé trois courtes heures à redécouvrir le travail d’Ando. Si j’étais encore parisienne, je serais déjà revenue au Centre Pompidou. L’exposition est fidèle à mes attentes et reprend le schéma de celle de Tokyo. Je regrette simplement que toute la partie qui m’avait ravie lors de ma découverte, à savoir celle sur l’engagement d’Ando et ses actions pour l’environnement, n’a pas été reproduite à Paris. C’est dommage… Car c’est bien avec cette partie de l’exposition que j’avais saisi la philosophie et la démarche de l’architecte. En revanche, une interview exclusive du Maître de la Lumière tourne en boucle (environ 40 minutes), où il répond avec sincérité à la manière dont il conçoit son métier. J’y ai aussi retrouvé tout le travail en maquettes, en dessins, en plans, où transparaît la simplicité d’une idée mise en oeuvre. Il est aussi très intéressant de découvrir les projets qui n’ont pas été réalisés, comme par exemple celui proposé pour le Ground Zero à New York, ou encore le Tate Modern à Londres. On constate alors que Tadao Ando et ses collaborateurs sont de vraies « Machines-à-créer ». Rien ne semble leur faire peur ou les arrêter. Aucune limite à la création et à l’imagination. Aucune appréhension, et au contraire, beaucoup d’espoir pour les générations de demain et ce monde contemporain à construire. Bref, une exposition « référence » qui lève le voile sur l’apparente simplicité des œuvres d’un des plus grands architectes de ce siècle.

« Tadao Ando, le Défi » Exposition, Centre Pompidou, Paris

Du 10 octobre au 31 décembre 2018

« Tadao Ando Endeavors » Exposition, National Art Center, Tokyo

Du 27 septembre au 18 décembre 2017

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